En Inde, la justice maintient une loi vieille de 153 ans pénalisant l'homosexualité

Dans la plus grande démocratie du monde, l'homosexualité continue d'être un crime. La légalité de l'article 377 du code pénal, rédigé par les britanniques en 1860 et qui punit d'emprisonnement « les relations charnelles contre nature » vient d'être maintenue, plus d'un siècle et demi plus tard, dans un pays qui entre-temps a connu la démocratie.

Ainsi en a décidé la Cour suprême d'Inde, mercredi 11 décembre. La nouvelle a été accueillie avec stupéfaction par toutes les associations gays et lesbiennes qui espéraient une victoire, quatre ans après la décision historique prise par la Haute Cour de justice de Delhi. Au nom des valeurs de la Constitution Indienne, à savoir la « dignité humaine » et la « non discrimination », les juges avaient déclaré l'article 377 anticonstitutionnel, et s'étaient prononcés, pour la première fois, contre la pénalisation de l'homosexualité.

Cet arrêt vient d'être cassé par la Cour suprême qui en appelle au parlement pour légiférer sur la question. Pour les militants homosexuels, c'est le début d'une nouvelle bataille. Quel parti aura le courage de voter au parlement la dépénalisation de l'homosexualité ? Dans les heures qui ont suivi la décision de la Cour suprême, aucun n'a osé réclamer un changement de la loi, hormis quelques rares et téméraires députés. A quelques mois des élections générales qui doivent se tenir au printemps 2014, le ministre indien de la justice, Kapil Sibal, s'est tout juste contenté de rappeler que le pays devait respecter les décisions de la Cour suprême.

« TABOU PROFONDÉMENT ANCRÉ DANS LA SOCIÉTÉ »

L'homosexualité reste un tabou profondément ancré dans la société indienne, où la famille joue un rôle central. Rares sont ceux qui osent assumer leur orientation sexuelle, et résister à la pression du sacrosaint mariage. Avec l'arrêt de mercredi matin, l'homosexualité retourne dans la clandestinité. Et ce faisant, l'ONU redoute les difficultés à venir pour lutter contre la propagation du sida qui touche 2,5 millions d'Indiens. « C'est une journée noire pour la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) », a reconnu Anand Grover, l'un des avocats qui a plaidé contre la légalité de l'article 377. « C'est une journée triste pour l'amour et pour le droit » selon l'écrivain Vikram Seth. « Un pas en arrière vers la barbarie et le Moyen Âge », fulmine l'historien Ramachandra Guha.

La nouvelle est d'autant plus rude qu'un vent d'espoir et de tolérance s'était levé ces dernières années dans le pays. Les gays sont sortis dans la rue pour revendiquer leurs droits. Ils ont lancé leur magazine et leur radio. En 2006, le prince Manvendra Singh Gohil faisait la couverture des magazines, après avoir révélé son homosexualité et s'être fait répudié de sa famille. En 2008, l'Etat du Tamil Nadu reconnaissait officiellement le genre transsexuel comme un troisième sexe.

Mais voici l'Inde rattrapée par son autre moitié, beaucoup plus conservatrice, et surtout beaucoup plus nombreuse, qui vit loin des grandes villes et des combats pour l'égalité des droits. D'où les incertitudes qui pèsent sur les chances de voir l'homosexualité dépénalisée au Parlement. Un sondage effectué l'été dernier par GFK pour CNN-IBN et Hindustan Times révèle que 70 % des Indiens sont opposés à la légalisation de l'homosexualité, et 3 sur 5 considèrent que c'est une maladie.

« REPRISE DES INTIMIDATIONS »

A partir de mercredi, il sera plus facile pour la police indienne de reprendre ses intimidations contre une communauté stigmatisée. L'article 377 est rarement utilisé pour envoyer des gens en prison, mais plutôt comme un outil de chantage pour harceler les membres de la communauté gay ou leur extorquer des pots de vin. « Tout le travail accompli jusqu'à maintenant, notre mobilisation, a de toute façon porté ses fruits. Notre capacité à nous affirmer face à la police ou nos familles est plus forte qu'avant », nuance Gautam Bhan, un militant de la cause homosexuelle.

Aussitôt la décision de la Cour suprême rendue, les déclarations publiques fustigeant l'homosexualité et qui se faisaient jusque-là discrètes se sont multipliées. « C'est une maladie qui ne devrait pas être célébrée mais guérie avec compassion », a déclaré Subramanian Swamy, un membre du parti nationaliste hindou Bhartiya Janata Party (BJP). « Si nos parents avaient été homosexuels nous ne serions pas nés. C'est donc contre nature », a renchéri le gourou Baba Ramdev.

L'arrêt de la Cour suprême a libéré la parole condamnant l'homosexualité, compliquant encore davantage la tâche des associations. Ces dernières craignent que le combat pour la dépénalisation de l'homosexualité glisse du terrain de l'égalité des droits à celui de la morale. « Il ne s'agit pas de porter une appréciation morale sur l'homosexualité, mais de savoir si oui ou non, la loi doit protéger la liberté d'orientation sexuelle », rappelle Harish Salve, avocat à la Cour suprême.

Tous les recours juridiques ne sont pas pour autant épuisés. « Nous allons probablement approfondir la possibilité d'une requête en révision » devant la Cour suprême, a déclaré Tripti Tandon, une avocate de la Naz Foundation, l'ONG travaillant pour les malades du sida, à l'origine de l'action judiciaire contre l'article 377. Dès mercredi après-midi, les militants sont retournés dans la rue et ont repris les manifestations à Delhi, à Calcutta et à Bangalore. « Nos droits viennent de la Cour suprême et de notre dignité humaine et aucun jugement ne peut nous le retirer », a martelé Gautam Bhan. Mais ce mercredi 11 décembre, une fenêtre d'espoir s'est refermée en Inde. Le Népal est le seul pays, en Asie du Sud, à ne pas pénaliser l'homosexualité.

Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

 

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