Diffusé en avant-première au Festival international du film de Toronto (5-15 septembre), "Mission Congo" lève le voile sur le projet "Operation Blessing" du pasteur américain Pat Robertson dans l'est de la RDC, alors Zaïre, en 1994. Des fonds levés aux États-Unis pour secourir les réfugiés rwandais avaient été utilisés à d'autres fins, selon les réalisateurs du documentaire.
Peut-on profiter d'un génocide ? À cette question terrible, il est possible de répondre par l'affirmative, certaines personnes n'ayant pas hésité à l'époque à détourner l'aide humanitaire destinée à près d'un million de refugiés dans l'est de la RDC, alors Zaïre. C'est ce que révèle Mission Congo, un documentaire à charge contre le controversé télé-évangéliste américain Pat Robertson. Le film a été présenté en avant-première le 6 septembre au Festival international du film de Toronto, au Canada.
Dans un reportage de 68 minutes, Lara Zizic et David Turner tentent de démontrer comment le pasteur baptiste avait pu recueillir des millions de dollars pour un projet humanitaire fantôme destiné aux refugiés rwandais. Les deux jeunes cinéastes compilent ainsi vidéos d'archives et témoignages accablants des autochtones, des personnels d'ONG présents, à l'époque, sur le terrain, voire ceux de certaines personnes qui ont pris part à la prétendue "Operation Blessing" de Pat Robertson dans le Kivu. Il en ressort un décalage énorme entre les faits rapportés par Pat Robertson et les allégations et autres preuves contraires étayées dans le film.
Récapitulons. Aux premières heures de l'afflux des réfugiés rwandais au Zaïre en 1994, le télé-évangéliste Pat Robertson se lance dans une campagne de plaidoyer pour l'envoi d'urgence d'une aide humanitaire aux sinistrés. Dans son émission "The 700 Club", diffusée sur The Christian Broadcasting Network (CBN), sa propre chaîne de télévision, il invite les téléspectateurs à contribuer au moins à hauteur de 25 dollars chacun par mois pour son ONG, Operation Blessing international (OBI), qui s'apprête alors à aller secourir les refugiés. "Nous allons leur apporter suffisamment des médicaments et prendre soin d'un quart de million de réfugiés", soutient-il. Le chef religieux promet même d'envoyer le "plus grand contingent médical" à Goma : 727 100 médecins !
Mais après la récolte des fonds, pas de trace d'actions humanitaires promises sur le terrain. "[L'OBI] n'avait qu'une tente et un lot de bibles", affirme un membre de Médecins sans frontières (MSF) dans Mission Congo. À l'époque, "l'épidémie de choléra avait tué plus de 40 000 personnes dans les camps des déplacés, se souvient Chris McGreal, journaliste du Guardian dépêché sur le lieu, interviewé également dans le film. Pendant que les humanitaires transportaient les victimes sur des brancards, j'ai vu [un jour] un prédicateur de OBI s'approcher pour prêcher un malade".
"Aidez l'enfant africain qui meurt de faim"
Si des bibles ont pris la place des médicaments estampillés Pat Robertson, où est passé le "contingent" de médecins promis par le pasteur, candidat malheureux à l'investiture du Parti républicain pour la présidentielle de 1988 ? "Nous n'avions même pas entendus parler d'eux", confie à Jeune Afrique Samanthan Bolton qui témoigne également dans le film. Au moment des faits, elle était la porte-parole des MSF dans la région. "Pat Roberston était un opportuniste comme tous les autres qui sillonnaient les camps de réfugiés pour se faire une image. Comme c'était une situation d'urgence, des logos n'étaient pas encore posés sur des tentes, ils en profitaient pour prendre des photos et faire des stand-up devant les camps des réfugiés", raconte Samanthan Bolton. Et d'ajouter : "Pat Robertson avait besoin de ces images pour son fund raising aux États-Unis : il était capable de s'agenouiller, devant une caméra, près d'un petit enfant en détresse et lancer : 'aidez-le, sinon il mourra de faim'".
Le télé-évangéliste américain a même diffusé des photos des tentes de MSF, les faisant passer pour les actions de son ONG sur le terrain. "Il est inacceptable qu'Operation Blessing ait pris des images de travailleurs de MSF et les ait utilisées dans le cadre de sa récolte de fonds", a réagi l'organisation humanitaire dont le siège se trouve à Genève.
De l'aide humanitaire à l'exploitation minièreDe l'aide humanitaire à l'exploitation minière
Ce n'est pas tout. Mission Congo soutient également que l'avion acheté par Pat Robertson à partir des dons et destiné à transporter de l'aide humanitaire aux réfugiés a plus servi à une toute autre mission : "l'exploitation minière". Un pilote qui a participé à l'expédition confirme dans le film que "les avions cargos portaient bien le logo 'OB'" mais qu'ils acheminaient souvent des matériels logistiques à Kamonia (centre du pays), où l'African Development Company (ADC), entreprise présidée par Pat Robertson, exploitait le diamant. Sur les 40 missions qu'il a effectuées avant de démissionner, il affirme que "43,9 heures seulement étaient consacrées à l'aide humanitaire, contre 271,9 au déploiement des engins de dragage des minerais".
Une enquête du procureur de l'État de Virginie avait également relevé des "fausses allégations" dans le projet OBI dans le Kivu, notamment sur l'envoi des médecins et des médicaments dans la zone sinistrée ainsi que sur la piste d'atterrissage réhabilité par l'ONG, mais qui a plus été utilisé à des fins lucratives.
Seulement voilà, "aucune suite judiciaire n'avait été réservée à cette affaire", déplore les réalisateurs de Mission Congo, soupçonnant Pat Robertson d'avoir soudoyé les autorités locales. "James Gilmore, alors gouverneur de Virginie (1998-2002) avait reçu un don de 50 000 dollars de la part de Pat Robertson", lui garantissant également le "soutien des chrétiens conservateurs", très influents dans cet État du sud des États-Unis. Il en est de même du procureur Mark Earley qui "avait reçu 35 000 dollars [du pasteur baptiste] pour sa campagne électorale de 1997", affirment-ils.
Pat Robertson qui rejette toutes ces accusations, a annoncé son intention de porter plainte contre les deux réalisateurs du film.
Par Trésor Kibangula
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